2015 - 2021

ETAT DE CONSERVATION DES TURDIDES CHASSABLES EN EUROPE

(Turdus sp.)

Par Dr J.-C.Ricci. Directeur scientifique. Mars 2024

EFFECTIFS DE 2015 A 2021 DES POPULATIONS DU MERLE NOIR ET DES 4 GRIVES CHASSABLES (Turdus sp.), PRELEVEMENTS PAR LA CHASSE A TIR EN EUROPE ET QUOTAS CONSERVATEURS DES CHASSES TRADITIONNELLES EN FRANCE

1- EFFECTIFS EUROPEENS DES 5 TURDIDES EN EUROPE EN 2021 : ETAT DE LA RESSOURCE

 

Le BirdLife International publie régulièrement les tendances des effectifs d’oiseaux nicheurs en Europe. Dans cette synthèse sont présentées les estimations du nombre d’adultes nicheurs des 5 espèces de Turdidés chassables en Europe (Merle noir et 4 espèces de grives) en 2015 et en 2021 pour 50 pays ayant transmis leurs estimations nationales (Selon les données brutes arrondies de BLI.2015 et BLI.2021).

ESPECES

 

EFFECTIFS D'ADULTES NICHEURS EN 2015 EN EUROPE
(Effectifs avant la reproduction et avant le départ en migration)

 

 

EFFECTIFS D'ADULTES NICHEURS EN 2021 EN EUROPE
 (Effectifs avant la reproduction et avant le départ en migration)

 

MERLE NOIR

130 000 000 millions

140 000 000 millions

GRIVE MUSICIENNE

50 000 000 millions

60 000 000 millions

GRIVE MAUVIS

20 000 000 millions

21 000 000 millions

GRIVE LITORNE

21 000 000 millions

32 000 000 millions

GRIVE DRAINE

9 000 000 millions

10 000 000 millions

TOTAL 5 ESPECES

230 000 000 millions

263 000 000 millions

Les intervalles des estimations brutes du nombre de couples traduisent en moyenne une tendance à la stabilité pour la grive mauvis et la grive draine et à l’augmentation pour le merle noir, la grive musicienne et la grive litorne.

 

En 2021, le BIRDLIFE International classe les 5 espèces en catégorie LC (Least Concern) c’est-à-dire en tant qu’espèces à « préoccupation mineure ». On peut donc considérer leur état de conservation comme désormais favorable.

 

Avec prudence et sans doute en sous estimant les effectifs, on a admis que chaque couple produit en moyenne deux jeunes ayant survécu jusqu’au départ en migration d’automne (migration postnuptiale). Ce calcul indique un âge -ratio de 1 jeune par adulte en moyenne et inclut les mortalités des adultes, la destruction des pontes et la mortalité des poussins. On peut estimer les effectifs totaux suivants (adultes et jeunes) après la reproduction et lors du départ en migration postnuptiale pour les 5 espèces concernées :

 

  • Selon nos estimations prudentes, on peut évaluer les effectifs des 5 espèces de Turdidés chassables en Europe après la reproduction et au départ en migration en automne à environ 500 à 600 millions d’individus.

2- PRELEVEMENTS PAR LA CHASSE A TIR DES 5 TURDIDES DANS L’UNION EUROPEENNE ET EN FRANCE

 

Ces estimations permettent à l’échelle de la quasi-totalité du continent européen (50 pays) de disposer d’un ordre de grandeur des effectifs totaux pour les 5 espèces après la reproduction et avant le départ en migration en considérant un taux de renouvellement minimum de 1 jeune par adulte.

La conservation de ces espèces dépend de plusieurs facteurs environnementaux comme la qualité des habitats de reproduction qui influe sur le succès de la reproduction et les facteurs de mortalité dont les prélèvements réalisés par la chasse.

Parmi les 27 pays de l’Union Européenne et donc concernés par la Directive « oiseaux » (2009/147/CE) la chasse de ces espèces n’est autorisée que dans 10 et certaines de ces espèces ne sont pas toutes chassées dans les 10 pays comme le montre le tableau ci-dessous. 

 

Tableau de synthèse :  les 10 pays de l’Union Européenne dans lesquels la chasse des espèces de grands Turdidés (Turdus sp) est autorisée (en gris = chasse autorisée) ; le chiffre mentionné sous chaque espèce est l’estimation des prélèvements annuels par la chasse en Europe selon Hirschfield & Heyd (2005- page 18 – chiffres arrondis) et entre parenthèses le % représenté par chaque espèce dans les prélèvements européens.

PAYS

Union Européenne

Merle noir (Turdus merula)

6 616 000

(22 %)

Grive musicienne (Turdus philomelos)

14 902 000

(49 %)

Grive mauvis (Turdus iliacus)

4 202 000

(14 %)

Grive litorne (Turdus pilaris)

3 465 000

(11 %)

Grive draine (Turdus viscivorus)

994 000

(4 %)

Chypre

x

x

x

x

x

Espagne

 

x

x

x

x

Estonie

   

x

 

France

x

x

x

x

x

Grèce

x

x

x

x

x

Italie

x

x

x

x

 

Malte

x

x

x

x

x

Roumanie

x

x

 

x

x

Portugal

 

x

x

x

x

Suède

   

x

 

Le merle noir est chassé dans 6 pays et représente 22 % des prélèvements ; la grive musicienne dans 8 et représente 49 % ; la grive mauvis dans 7 pour 14 % ; la grive litorne dans 10 et ne représente que 11 % et la grive draine est chassée dans 7 pays et ne représente que 4 % des prélèvements de Turdidés. Ces espèces se reproduisent pour la plupart en Europe centrale, de l’Est et du Nord et débutent la migration d’automne (migration postnuptiale) dès la fin du mois de septembre vers les pays du sud de l’Europe.

 

En Europe les prélèvements par la chasse de ces espèces ne sont pas précisément connus pour l’ensemble des pays concernés. Néanmoins, Hirschfield & Heyd (2005) ont publié une estimation pour l’ensemble des oiseaux chassés en Europe à partir d’enquêtes. Ils ont estimé les prélèvements annuels des 5 espèces à un total de 30.2 millions d’individus auxquels il faut rajouter selon eux 100 000 Turdidés (Turdus sp) prélevés à Malte toutes espèces confondues. Donc selon ces estimations, il se prélèverait en moyenne en Europe 30.3 millions de Turdidés appartenant aux 5 espèces. Selon nos évaluations précédentes mentionnées en page 1, ce total représente environ 5 à 6% des effectifs totaux estimés en 2021.

 

Ces comparaisons nous permettent de constater que les prélèvements cynégétiques réalisés en Europe sur ces 5 espèces de Grands Turdidés ne semblent pas de nature à compromettre leur état de conservation. D’ailleurs, Hirschfield & Heyd (2005) dans leurs conclusions en faveur de la conservation des espèces chassables en Europe ne citent pas les Turdidés parmi les espèces chassables pour lesquelles selon eux la mortalité due à la chasse représenterait un facteur limitant.

 

La France dispose d’estimations réalisées par sondage des prélèvements par la chasse à tir à des pas de temps de plusieurs années grâce à l’ONCFS et à la FNC. La dernière enquête concerne la saison cynégétique 2013-2014 (Aubry et al.2016) et estime les prélèvements des 5 espèces de Turdidés à 2 509 923 individus ce qui représente environ 0.4 et 0.5 % des effectifs totaux européens estimés en 2021 (page 1). A titre de comparaison avec l’Europe, selon l’enquête 2013/2014 réalisée en France, le % représenté par chaque espèce dans les prélèvements à tir de Turdidés sont : merle noir : 9 % ; grive musicienne : 56 % ; grive mauvis : 20 % ; grive litorne : 5 % et grive draine : 10 %. Les Turdidés (5 espèces) arrivent en 3ème place d’importance cynégétique pour l’ensemble des espèces chassées à tir après le Pigeon ramier et le Faisan commun du moins pour la saison cynégétique 2013/2014 (Aubry et al.2016). La grive musicienne seule occupe la 4ème place nationale après : le Pigeon ramier, le Faisan commun et le Lapin de garenne avec lequel elle arrive quasiment à égalité si on tient compte d’un intervalle de confiance plus large pour cette espèce essentiellement migratrice en France.

3- CHASSES TRADITIONNELLES AUX 5 TURDIDES EN FRANCE : DES QUOTAS TRES CONSERVATEURS DES POPULATIONS

 

En France, trois modes de chasses traditionnelles existant depuis la nuit des temps dans la culture rurale étaient autorisées il y a encore moins de trois ans sur la base règlementaire d’arrêtés ministériels respectant la Directive Oiseaux (2009/147/CE). Ces chasses traditionnelles des 5 espèces de Turdidés sont :

  • « Les Gluaux » dans 5 départements de la Région SUD PACA : Alpes de Haute Provence- Alpes Maritimes – Bouches-du-Rhône- Var et Vaucluse.
  • « Les Tenderies » dans les Ardennes
  • « Les Tendelles » en Aveyron et Lozère.

 

Ces chasses inscrites dans le patrimoine rural français relèvent toutes de l’article 9.1.c de la Directive Oiseaux (2009/147/CE) : Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après : « pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ».

 

Chaque chasse était pratiquée selon les quotas fixés annuellement par le Ministre chargé de la chasse dans le respect des « petites quantités » et de la conservation des populations européennes comme le montrent les calculs ci-dessous :

 

 

DERNIERS QUOTAS GLUAUX ACCORDES AUX 5 DEPARTEMENTS (04-06-13-83-84) 

 

58 000 oiseaux qui représentent 0.097 à 0.12% DES EFFECTIFS EUROPEENS DE 2021. (Captures d’oiseaux vivants pour servir d’appelants).

 

 

 

QUOTAS DE 2017 ACCORDES POUR LES 3 CHASSES TRADITIONNELLES AUX TURDIDES

 

Tendelles : 23 200 + Tenderies Ardennes : 20 000 + Gluaux : 78 000 = 121 200 oiseaux qui représentent 0.20 à 0.24% DES EFFECTIFS EUROPEENS DE 2021.

CONCLUSION

 

La comparaison des bases de données brutes du Bird Life International entre 2015 et 2021 traduit globalement une légère augmentation des effectifs nicheurs (53 millions environ- Tableau de synthèse en page 1) entre les deux périodes espacées de 6 ans. A l’échelle des 50 pays européens ayant fourni des données, l’estimation moyenne des effectifs des 5 espèces après la reproduction et avant le départ en migration postnuptiale se situe dans l’ordre de grandeur de 500 à 600 millions d’oiseaux. Ces espèces appartiennent au grand ordre des Passériformes pour lesquels on dispose de méthodes de dénombrement au printemps standardisées et validées en Europe. Certes tous les pays n’utilisent pas la même méthode. Une uniformisation à l’avenir permettrait de disposer d’indicateurs de tendance plus sensibles et fiables.

 

Parmi les 27 pays de l’Union Européenne, la chasse de ces espèces n’est autorisée que dans 10 et ce par pour toutes les espèces. Par ailleurs les prélèvements cynégétiques annuels sont encore assez mal connus ou estimés selon encore une fois par des méthodes différentes qui pourraient être harmonisées au moins à l’échelle des 10 pays de l’Union Européenne.

La conservation de ces espèces dépend aussi et surtout de la conservation des habitats de reproduction en Europe : habitats forestiers, formations végétales de landes, de garrigues et de maquis, milieux agricoles et désormais les zones urbaines (jardins, parcs de loisir).

Il convient donc de veiller à l’état de conservation de ces habitats qui peuvent faire l’objet d’atteintes multiples et ce sur de vastes surfaces (exploitations abusives des forêts, traitements phytosanitaires, incendies, arrachage des haies et des éléments fixes paysagers en zones agricoles) et dont dépend la reproduction de ces espèces.

 

Les résultats relatifs aux pourcentages accueillis de chaque espèce dans chaque pays mettent en évidence de fortes disparités. Cette mise en garde est d’autant plus importante que certains pays accueillent à eux seuls plus de 70% des effectifs d’une espèce. C’est par exemple le cas de la Russie pour la grive mauvis et la grive litorne. Ce même pays accueille par ailleurs 4% des effectifs de merle noir, 29% des populations de grive musicienne et 33% de celles de grive draine.

 

Dans une perspective de conservation de ces espèces tant au plan de la biodiversité que dans la perspective d’une chasse durable, il conviendra de veiller en outre au maintien de la qualité des habitats de reproduction notamment en Russie, pays non-membre de l’Union Européenne. En effet on ne dispose pas pour l’instant pour cet immense pays de 17 millions de Km² (soit 26 fois la France) de bases de données numérisées telles que CORINE Land Cover et CORINE Biotopes dans l’Union Européenne permettant des comparaisons utiles à différentes périodes et de surveiller leur évolution.

 

Par ailleurs il est désormais démontré que les 3 chasses traditionnelles aux 5 Turdidés pratiquées depuis la nuit des temps et faisant partie intégrante du patrimoine rural français ne sont pas de nature à porter atteinte à l’état de conservation des espèces concernées.

 

Par ailleurs l’exercice de ces trois chasses traditionnelles s’accompagne d’un entretien des milieux ouverts sur le terrain (chemins, ouvertures de la végétation, entretien des arbres etc..) et ainsi contribue au maintien de la Biodiversité comme le démontrent les travaux de Yamaura et al (2012) en zone océanique et ceux de Vimal et al (2017) en zone méditerranéenne.

 

Ainsi le rétablissement règlementaire de ces chasses traditionnelles en France et leur actualisation grâce à des expérimentations scientifiques sous le contrôle d’un établissement public permettrait non seulement de conserver et de transmettre un patrimoine et un savoir-faire ancestral mais aussi de contribuer au maintien de la Biodiversité définie comme une priorité internationale et énoncée pour la première fois lors de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement (CNUED) en juin 1992 à Rio de Janeiro.

 

Dr J.-C.Ricci. Directeur scientifique de l’IMPCF. Vergèze mars 2024

 

Bibliographie dans le document à télécharger

 

 

etat de conservation des turdidés étude 2021