DU CHANGEMENT CLIMATIQUE AU CHANGEMENT DE COMPORTEMENT DES OISEAUX MIGRATEURS

 

Par Dr J.-C.Ricci. Directeur scientifique IMPCF. juillet 2014

MAIS OU VONT DESORMAIS LES GRIVES ET LE MERLE NOIR

EN MIGRATION ET EN HIVERNAGE ?

C’est en effet la question que se posent de nombreux chasseurs et qu’ils posent à leur Fédération. L’IMPCF, organisme de recherche appliquée proche du terrain créé en 1990 par les Fédérations de Chasseurs du sud-est, l’ONCFS et la Fédération Nationale des Chasseurs se devait d’apporter des éléments de réponse.

Pour simplifier on présentera ces résultats en quatre grandes réponses :

  • Le changement climatique qui nous touche va-t-il se poursuivre ?
  • Comment se portent les effectifs des populations de grives et de merle noir en Europe ?
  • Où vont ces espèces aujourd’hui alors qu’elles fréquentaient notre région jadis en plus grand nombre et plus fréquemment ?

Que pourrait-il se passer dans l’avenir ?

Ces espèces occupent sur l’année (zones de reproduction-migration-hivernage) une immense zone qui s’appelle le Paléarctique occidental soit 18 millions de km² environ qui s’étend du Sahel au sud jusqu’au Groenland au nord. Le merle noir et les grives se reproduisent au nord et migrent ou hivernent en général plus au sud notamment par le passé.

CHANGEMENT CLIMATIQUE : PAS UN EVENEMENT NOUVEAU POUR NOTRE PLANETE

Depuis 4,6 milliards d’années que la vie existe sur notre Terre, les périodes chaudes et glaciaires se sont répétées selon des intervalles irréguliers. Le comportement migratoire a été adopté par les oiseaux migrateurs pour survivre à l’approche de l’hiver et ainsi rejoindre des contrées plus clémentes donc plus au sud donc se déplacer vers les zones méditerranéennes et africaines et ensuite regagner au printemps leurs zones de reproduction situées au nord. Or la température n’a cessé d’osciller entre 9 et 22 degrés en moyenne sur la terre ce qui représente des variations importantes en ce qui concerne les extrêmes

En une phrase, hier il fallait migrer pour survivre et aujourd’hui ce n’est plus le cas, nous sommes dans une période plutôt chaude.

Les météorologues enregistrent de nombreux paramètres climatiques depuis la fin du XIXème siècle. Parmi ceux-ci, la différence de pression entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande appelée Oscillation Nord Atlantique (ONA ou NAO en anglais) est mesurée depuis 1857.

Ce paramètre est de la plus haute importance car il conditionne notre climat. Ce qui est important pour les chasseurs est que nous avons remarqué que des valeurs négatives en bleu sont liées à des années de fortes migrations. Vérifiez sur vos carnets de note de chasse d’autant que les plus anciens pourront remonter suffisamment loin dans le temps et se souvenir de fabuleuses migrations.

Nous constatons aussi que ces périodes en bleu et en orangé se succèdent. Nous sommes actuellement dans une phase de « faibles migrations » et ce depuis la fin des années 90 Demain devrait être meilleur car à la période actuelle pourrait logiquement être suivie d’une période en bleu avec des hivers froids et secs associés à des hautes pressions atmosphériques favorables aux migrations vers le sud.

 

COMMENT SE PORTENT LES EFFECTIFS DES POPULATIONS DE GRIVES ET DE MERLE NOIR EN EUROPE

 

Pour une fois qui n’est pas coutume, nous irons chercher cette information chez le BirdLife International qui regroupe les associations d’ornithologues et d’environnementalistes des principaux pays et notamment ceux concernés par le Paléarctique occidental. En 2004 cet organisme a publié une synthèse dans laquelle il considère les populations des 5 espèces comme étant en bon état de conservation. La Commission européenne s’est appuyée sur ce rapport pour arriver à la même analyse en 2008 dans le Guide interprétatif de la Directive oiseaux.

 

Pour résumer, nous avons réalisé en 2010 une estimation des effectifs pour chaque espèce après la reproduction et avant le départ en migration à partir des estimations du nombre de couples (BLI.2004) et en considérant qu’en moyenne chaque couple produit 2 jeunes. Cette synthèse couvre entre 15 et 44 pays selon les espèces mais pas la totalité des pays du Paléarctique occidental. Nous avons considéré pour simplifier la valeur médiane des valeurs mini et maxi de ces estimations d’oiseaux qui sont souvent de grande amplitude compte tenu de la superficie concernée de 18 millions de Km².

Grive Mauvis

74 millions

Grive Draine

21 milions

Merle Noir

240 millions

Grive Musicienne

112 millions

Grive Litorne

76 millions

Quelques anecdotes : sachez que l’état de conservation de la grive musicienne est considéré comme défavorable en Grande Bretagne alors que l’espèce n’y est pas chassée. Il en est de même pour la grive draine en Italie où l’espèce est protégée. Le merle noir protégé en Espagne n’a pas une tendance franchement à la hausse contrairement aux pays où il est chassé (France et Italie notamment).

 

Au total ce sont en moyenne 523 millions de grives et de merles noir qui partent en migration chaque année à travers le Paléarctique occidental mais tous ne passent pas hélas par la France, ni par votre département et encore moins par votre commune. Donc de grâce, ne dites plus qu’il n’y a plus de grives sans rajouter chez vous car en Europe elles se portent bien et nous allons voir dans la suite où elles se trouvent de nos jours.

 

Ou vont DESORMAIS ces espèces qui fréquentaient notre région jadis en plus grand nombre et plus fréquemment ?

 

Au regard de ce qui précède sur le changement global et sur la tendance au réchauffement confirmée par les experts internationaux du climat, on peut s’attendre en toute logique à ce que ces espèces comme d’autres migrent moins au sud qu’elles ne le faisaient il y a 30 ans.

La carte ci-dessus illustre les migrations de cette saison 2013/2014 notamment en automne. Avant (à gauche) les couloirs ou routes de migrations étaient équitablement fréquentés. Cet automne le couloir rhodanien et alpin desservant les régions Provence et Languedoc Roussillon a été très faiblement fréquenté au détriment du couloir Atlantique et du couloir Adriatique desservant notamment l’est de l’Italie et la Grèce. L’épaisseur des flèches est proportionnelle à l’intensité des flux de migration. Ceci est expliqué par des basses pressions atmosphériques en automne (octobre-novembre) défavorables sur l’axe rhodanien et alpin et en revanche par de très hautes pressions favorables en adriatique. Rassurez-vous nos amis grecs ont vu beaucoup de grives en octobre mais ensuite pas plus que nous en hivernage de décembre à février et ce pour les mêmes raisons.

 

Résultat complémentaire pour la France en 2013/2014.

 

Grâce à l’Observatoire National Cynégétique et Scientifique Citoyen créée il y a trois ans par l’IMPCF et l’ADCTG, association spécialisée dans les chasses traditionnelles à la grive, avec l’appui et le soutien des Fédérations Départementales de Chasseurs de France, nous disposons désormais de données émanant des observateurs chasseurs-citoyens.

La carte ci-dessous relative à la saison 2013/2014 repose sur 5679 heures d’observations bénévoles et couvre 18 de nos 22 régions administratives.

Bien que l’effort d’observation soit plus soutenu au sud (Provence – Languedoc Roussillon-Rhône Alpes- Aquitaine), nous constatons que 3 espèces de grives se sont plutôt tenues au nord et à l’est de la France tout comme le pigeon ramier (notre palombe !) à l’exception de l’Aquitaine qui est desservie par le couloir atlantique différent de celui qui dessert le sud-est au sens large. Le climat est seul responsable ! D’ailleurs chacun voit désormais l’intérêt de l’Observatoire national (http://www.observatoirenationalmigrateurs.net) que nous essayons d’exporter et d’étendre en Europe car si demain nous disposions d’informations des 5 millions de chasseurs européens, alors nous pourrions mieux comprendre les déplacements de ces espèces à cette échelle

Un espoir pour demain en cours de realisation

Poussons plus loin notre démonstration en nous appuyant sur des recherches récentes réalisées à partir des reprises d’oiseaux bagués. En effet le baguage est une technique utilisée depuis le XIXème siècle complétée de nos jours par des hautes technologies comme le RADAR et la Bioacoustique (utilisés par l’IMPCF pour défendre les dates de chasse) ou encore les balises ARGOS de nos amis du GIFS sur le pigeon ramier.

Les reprises d’oiseaux bagués notamment au nid permettent de connaître entre autres grâce aux reprises, réalisées essentiellement par la chasse pour les espèces chassables, les distances parcourues.

Prenons le cas en France du merle noir et de la grive mauvis : selon une étude du Muséum National d’Histoire Naturelle publiée en 2006 

 
IL Y A 30 ANS CES DEUX ESPECES HIVERNAIENT 8 ANNEES SUR 10 EN FRANCE ET DESORMAIS 2 A 4 ANNEES SEULEMENT SUR 10.

Considérons le cas de la Hollande et du merle noir étudié par l’Université de Leiden en 2009

 
 
IL Y A 30 ANS 60% DES MERLES NES EN HOLLANDE ETAIENT MIGRATEURS AUJOURD’HUI SEULEMENT 10% LE SONT

Chacun comprendra qu’on ne peut pas voir de nos jours plus de merles hollandais chez nous qu’il y a 30 ans !

 

Restons toujours en Hollande grâce notamment à l’Institut d’Écologie des Pays-Bas qui en 2009, toujours à l’aide des reprises de bagues, a mesuré chez 24 espèces d’oiseaux dont merle et grives, l’évolution en 70 ans, de la distance entre la zone de naissance et la zone d’hivernage : CETTE DISTANCE A DIMINUE DE MOITIE EN 70 ANS.Il n’est pas étonnant que moins d’oiseaux venus du nord nous rendent visite en automne et en hiver.

 

Sachez aussi que ces nouveaux comportements consistant, pour une part de la population, à rester proche de la zone de naissance sont très vite intégrés par les individus car le temps de génération des passereaux est court et donc la nature leur a donné la possibilité de s’adapter rapidement sinon l’avenir de l’espèce pourrait être menacé.

 

Encore plus démonstratif : un suivi sur 60 ans venant d’Estonie située à 3000 km au nord-est de la France réalisé par Elts en 2005 nous éclaire sur la présence désormais nordique de ces espèces en hiver.

DEPUIS LES ANNEES 60 L’HIVERNAGE EN ESTONIE A ETE MULTIPLIEPAR 5 A 10

 

À la lecture des résultats obtenus depuis 60 ans dans un pays nordique on comprend mieux désormais où sont en hiver le merle noir et les grives.

 

 

Que pourrait-il se passer dans l’avenir ?

 

Sans vouloir jouer au sorcier, je serai tenté de dire que demain ne peut être pire. En effet nous sommes actuellement dans une période chaude avec certes quelques hivers froids et secs, rares et moins fréquents. Nous avons montré que depuis la nuit des temps les périodes se succèdent et donc la prochaine devrait en toute logique être plus favorable aux migrations.

En conclusion je serai tenté de résumer ainsi la situation au risque de prendre un raccourci mais qui pourrait nous éclairer : «il y a plus de 30 ans en moyenne les populations d’espèces d’oiseaux migrateurs étaient composées de 80 à 90% d’individus génétiquement programmés à migrer, aujourd’hui ils ne représentent que 10 à 20% ».

Gardez espoir, il est biologiquement normal que certaines populations aient perdu provisoirement leur instinct de migration. Ces individus sont devenus donc des migrateurs à regret car il est possible aujourd’hui de survivre sans migrer trop loin de la zone de reproduction.

Ces populations plutôt originaires du centre et de l’est de l’Europe retrouveront majoritairement très vite ce comportement si le climat demain les y oblige «tout simplement » car la nature depuis l’origine de la vie sélectionne les individus qui adoptent les comportements  les plus favorables à leur survie et à leur reproduction donc ceux qui leur permettent de transmettre plus fréquemment leurs gènes aux générations futures.

Vergèze le 4 juillet 2014.

Dr JC.RICCI. Directeur scientifique de l’IMPCF.

Institut Méditerranéen du Patrimoine Cynégétique et Faunistique (IMPCF).