(Turdus sp.)
Par Dr J.-C.Ricci. Directeur scientifique IMPCF. Septembre 2017
Le BirdLife International publie régulièrement les tendances des effectifs d’oiseaux nicheurs en Europe. Dans cette synthèse sont présentées les estimations du nombre de couples nicheurs des 5 espèces de Turdidés chassables en Europe (Merle noir et 4 espèces de grives) en 2004 et en 2015 pour 50 pays ayant transmis leurs estimations nationales (Selon les données brutes arrondies de BLI.2004 et BLI.2015 - annexes 1 à 5).
ESPECES
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EFFECTIFS DE COUPLES NICHEURS EN 2004
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EFFECTIFS DE COUPLES NICHEURS EN 2015
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MERLE NOIR
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40 – 82
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54 - 87
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GRIVE MUSICIENNE
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20 - 36
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24 - 38
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GRIVE MAUVIS
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16 - 21
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13 - 20
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GRIVE LITORNE
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14 - 24
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14 - 29
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GRIVE DRAINE
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3 - 7
|
4 - 9
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Les intervalles des estimations brutes du nombre de couples traduisent en moyenne une tendance à la stabilité pour la grive mauvis et la grive litorne et à l’augmentation pour le merle noir, la grive musicienne et la grive draine.
Avec prudence et sans doute en sous estimant les effectifs, on a admis que chaque couple produit en moyenne deux jeunes ayant survécu jusqu’au départ en migration d’automne (migration postnuptiale). Ce calcul indique un âge -ratio de 1 jeune par adulte en moyenne et inclut les mortalités des adultes, la destruction des pontes et la mortalité des poussins. On peut estimer les effectifs totaux suivants (adultes et jeunes) après la reproduction et lors du départ en migration postnuptiale pour les 5 espèces concernées :
Ces estimations permettent à l’échelle de toute l’Europe (50 pays) de disposer d’un ordre de grandeur des effectifs totaux pour les 5 espèces après la reproduction et avant le départ en migration.
La ressource produite estimée en 2004 et en 2015 montre une tendance à l’accroissement (bornes mini-bornes maxi). La conservation de ces espèces dépend de plusieurs facteurs environnementaux comme la qualité des habitats de reproduction qui influe sur le succès de la reproduction et les facteurs de mortalité dont les prélèvements réalisés par la chasse.
Parmi les 28 pays de l’Union Européenne et donc concernés par la Directive « oiseaux » (2009/147/CE) la chasse de ces espèces n’est autorisée que dans 10 et certaines de ces espèces ne sont pas toutes chassées dans les 10 pays comme le montre le tableau ci-dessous.
PAYS Union Européenne |
Merle noir (Turdus merula)
6 616 000
(22 %)
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Grive musicienne (Turdus philomelos)
14 902 000
(49 %)
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Grive mauvis (Turdus iliacus)
4 202 000
(14 %)
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Grive litorne (Turdus pilaris)
3 465 000
(11 %)
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Grive draine (Turdus viscivorus)
994 000
(4 %)
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Chypre |
x
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x
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x
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x
|
x
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Espagne |
x
|
x
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x
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x
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Estonie |
x
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France |
x
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x
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x
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x
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x
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Grèce |
x
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x
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x
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x
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x
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Italie |
x
|
x
|
x
|
x
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Malte |
x
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x
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x
|
x
|
x
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Roumanie |
x
|
x
|
x
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x
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Portugal |
x
|
x
|
x
|
x
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Suède |
x
|
Le merle noir est chassé dans 6 pays et représente 22 % des prélèvements ; la grive musicienne dans 8 et représente 49 % ; la grive mauvis dans 7 pour 14 %; la grive litorne dans 10 et ne représente que 11 % et la grive draine est chassée dans 7 pays et ne représente que 4 % des prélèvements de Turdidés. Ces espèces se reproduisent pour la plupart en Europe centrale, de l’Est et du Nord et débutent la migration d’automne (migration postnuptiale) dès la fin du mois de septembre vers les pays du sud de l’Europe.
En Europe les prélèvements par la chasse de ces espèces ne sont pas précisemment connus pour l’ensemble des pays concernés. Néanmoins, Hirschfield & Heyd (2005) ont publié une estimation pour l’ensemble des oiseaux chassés en Europe à partir d’enquêtes. Ils ont estimé les prélèvements annuels des 5 espèces à un total de 30.2 millions d’individus auxquels il faut rajouter selon eux 100 000 Turdidés (Turdus sp) prélevés à Malte toutes espèces confondues. Donc selon ces estimations, il se prélèverait en moyenne en Europe 30.3 millions de Turdidés appartenant aux 5 espèces. Selon nos évaluations précédentes mentionnées en page 1, ce total représente entre 5 % et 8 % des effectifs totaux estimés en 2004.Si on réalise le même calcul pour les chiffres de 2015 concernant la totalité estimée après la reproduction et avant le départ en migration (page 1), ces pourcentages représentent respectivement
4 % et 7 % des limites estimées des effectifs européens totaux des 5 espèces de Turdidés. Ces comparaisons nous portent à constater que les prélèvements cynégétiques réalisés en Europe sur ces 5 espèces de Grands Turdidés ne semblent pas de nature à compromettre leur état de conservation. D’ailleurs, Hirschfield & Heyd (2005) dans leurs conclusions en faveur de la conservation des espèces chassables en Europe ne citent pas les Turdidés parmi les espèces chassables pour lesquelles selon eux la mortalité due à la chasse représenterait un facteur limitant.
La France dispose d’estimations réalisées par sondage des prélèvements par la chasse à tir à des pas de temps de plusieurs années grâce à l’ONCFS et à la FNC. La dernière enquête concerne la saison cynégétique 2013-2014 (Aubry et al.2016) et estime les prélèvements des 5 espèces de Turdidés à 2 509 923 individus ce qui représente entre 0.3 et 0.6 % des effectifs totaux européens estimés en 2015 (page 1). Cette estimation par rapport aux effectifs européens connus semble cohérente et se situe dans l’intervalle moyen estimé pour l’Europe si on le multiplie par 10 pour simplifier (10 pays chassent ces espèces). En effet cet intervalle se situe alors entre 3 et 6 % et l’intervalle mentionné plus haut pour l’Europe est compris entre 4 et 7 % des effectifs totaux européens estimés en 2015.
A titre de comparaison avec l’Europe, selon l’enquête 2013/2014 réalisée en France , le % représenté par chaque espèce dans les prélèvements à tir de Turdidés sont : merle noir : 9 % ; grive musicienne : 56 % ; grive mauvis : 20 % ; grive litorne : 5 % et grive draine : 10 %. Les Turdidés (5 espèces) arrivent en 3ème place d’importance cynégétique pour l’ensemble des espèces chassées à tir après le Pigeon ramier et le Faisan commun du moins pour la saison cynégétique 2013/2014 (Aubry et al.2016). La grive musicienne seule occupe la 4ème place nationale après : le Pigeon ramier, le Faisan commun et le Lapin de garenne avec lequel elle arrive quasiment à égalité si on tient compte d’un intervalle de confiance plus large pour cette espèce essentiellement migratrice en France.
Dans la Région Provence Alpes Côte d’Azur, les prélèvements totaux autorisés par la chasse aux gluaux dans 5 départements (Alpes de Haute Provence- Alpes Maritimes- Bouches-du-Rhône- Var et Vaucluse) par l’arrêté ministériel du 17 août 1989 et par les arrêtés préfectoraux annuels fixant les quotas par département représentent entre 0.012 et 0.021 % des effectifs européens estimés en 2004 et pour 2015, entre 0.011 et 0.018%. Ces chiffres montrent que cette chasse traditionnelle séculaire encadrée par un arrêté ministériel et 5 arrêtés préfectoraux conformes à l’article 9.3 de la Directive « oiseaux » (2009/147/CE) qui impose une « exploitation judicieuse en petites quantités », n’est pas de nature à compromettre l’état de conservation des 5 espèces concernées.
Les reprises d’oiseaux bagués nous renseignent sur leur origine et sur les pays traversés lors de la migration. La synthèse ci-dessous réalisée par l’IMPCF de 1990 à 2005 concerne les pays d’origine ou traversés par les individus de ces 5 espèces et transitant par la zone méditerranéenne française soit pendant la migration soit pendant l’hivernage (Corse – Provence Alpes Côte d’Azur et Occitanie). Ces % correspondent simplement aux taux de reprise par pays car on ignore l’effort de baguage de chacun
CARTES DE TENDANCES DES EFFECTIFS NICHEURS PAR PAYS EN EUROPE
(Selon BLI.2015 et annexes 1 à 5- cartes complétées par le % des effectifs par J.-C.Ricci- IMPCF)
La conservation de ces espèces dépend aussi et surtout de la conservation des habitats de reproduction en Europe : habitats forestiers, formations végétales de landes, de garrigues et de maquis, milieux agricoles et désormais les zones urbaines (jardins, parcs de loisir).
Il convient donc de veiller à l’état de conservation de ces habitats qui peuvent faire l’objet d’atteintes multiples et ce sur de vastes surfaces (exploitations abusives des forêts, traitements phytosanitaires, incendies, arrachage des haies et des éléments fixes paysagers en zones agricoles) et dont dépend la reproduction de ces espèces. Les cartes qui suivent issues de la synthèse du BirdLife International de 2015 et complétées par nous (% des effectifs totaux connus pour les principaux pays soit de 4 à 75%), illustrent bien l’importance relative de certains pays dans la conservation des populations des différentes espèces.
Légende des cartes
En % = % de couples estimés par pays par rapport au total des effectifs nicheurs connus
Augmentation
Diminution
Stabilité
Tendance inconnu
(Annexe 1)
Les effectifs de couples:
2004: 40 - 82 millions
2015: 54 - 87 millions
Pour le merle noir l’Espagne et l’Allemagne sont les deux pays qui accueillent le plus d’effectifs nicheurs (respectivement 14 et 12%) suivis par le Royaume Uni et la France (8 et 7%). L’Italie, la Roumanie et la Russie accueillent 4 à 5% chacun en moyenne des effectifs reproducteurs. L’espèce est stable ou en augmentation dans tous ces pays sauf en Allemagne où elle n’est pas chassée. Les populations de merle noir sont en augmentation en Russie, en Espagne, au Royaume Uni, en Pologne et en Turquie et stables dans les Pays scandinaves, en France et en Ukraine pour les principaux pays.
(Annexe 2)
Les effectifs de couples:
2004: 20 - 36 millions
2015: 24 - 38 millions
Les populations de grive musicienne sont surtout concentrées en Russie (29 %) puis de 5 à 6 % réparties en France, Norvège, Suède et Allemagne. Les tendances selon les principaux pays producteurs sont stables (Russie, France Ukraine et Allemagne) ou en augmentation (Pays scandinaves, Espagne, Pologne). Cette espèce représente 49 % des prélèvements européens.
(Annexe 3)
Les effectifs de couples:
2004: 16 - 21 millions
2015: 13 - 20 millions
La grive mauvis est, des 5 espèces concernées, celle qui se reproduit le plus au nord. La Russie accueille 75% des effectifs européens et les 3 Pays scandinaves en rassemblent 22%. Plus que toute autre, l’avenir de cette espèce notamment en ce qui concerne ses habitats de reproduction dépend donc de 4 pays. Elle est considérée en légère diminution et représente 14 % des prélèvements.
(Annexe 4)
Les effectifs de couples:
2004: 12 - 24 millions
2015: 14 - 29 millions
La grive litorne comme la grive mauvis voit ses effectifs concentrés principalement en Russie (70%) où l’espèce est stable et dans les 3 Pays scandinaves totalisant 18% où l’espèce est en légère diminution. Les 12% restant sont répartis entre les Républiques Baltes, la Pologne et l’Ukraine. La France accueille moins de 1% des effectifs nicheurs européens. L’avenir de la grive litorne au regard de la conservation de ses habitats de reproduction dépend donc comme la grive mauvis de quelques pays et notamment encore de la Russie.
(Annexe 5)
Les effectifs de couples:
2004: 3 - 7 millions
2015: 4 - 9 millions
Les effectifs nicheurs de la grive draine sont pour le tiers (33%) concentrés en Russie où l’espèce est considérée comme stable mais sont aussi distribués dans au moins trois pays d’Europe du sud : France (11%) en légère diminution, Espagne et Roumanie (6%) où elle est en augmentation ou stable.
CONCLUSION
La comparaison des bases de données brutes du Bird Life International entre 2004 et 2015 traduit globalement une légère augmentation des effectifs nicheurs entre les deux périodes espacées de 11 ans. A l’échelle des 50 pays européens ayant fourni des données, l’estimation moyenne des effectifs des 5 espèces après la reproduction et avant le départ en migration postnuptiale se situe dans l’ordre de grandeur de 400 à 700 millions d’oiseaux. Ces espèces appartiennent au grand ordre des Passériformes pour lesquels on dispose de méthodes de dénombrement au printemps standardisées et validées en Europe. Certes tous les pays n’utilisent pas la même méthode. Une uniformisation à l’avenir permettrait de disposer d’indicateurs de tendance plus sensibles et fiables.
Parmi les 28 pays de l’Union Européenne, la chasse de ces espèces n’est autorisée que dans 10 et ce par pour toutes les espèces. Par ailleurs les prélèvements cynégétiques annuels sont encore assez mal connus ou estimés selon encore une fois par des méthodes différentes qui pourraient être harmonisées au moins à l’échelle des 10 pays de l’Union Européenne.
Les tendances présentées sur les cartes sont des tendances à court terme c’est-à-dire sur une période de 11 ans environ. Les résultats relatifs aux pourcentages accueillis de chaque espèce dans chaque pays mettent en évidence de fortes disparités. Cette mise en garde est d’autant plus importante que certains pays accueillent à eux seuls plus de 70% des effectifs d’une espèce. C’est par exemple le cas de la Russie pour la grive mauvis et la grive litorne. Ce même pays accueille par ailleurs 4% des effectifs de merle noir, 29% des populations de grive musicienne et 33% de celles de grive draine. La Russie accueille d’ailleurs selon la même synthèse de 2015 , 84% des effectifs européens nicheurs de bécasse des bois (Scolopax rusticola), espèce qui est chassée dans 23 des 28 pays de l’Union Européenne.
Dans une perspective de conservation de ces espèces tant au plan de la biodiversité que dans la perspective d’une chasse durable, il conviendra de veiller en outre au maintien de la qualité des habitats de reproduction notamment en Russie, pays non membre de l’Union Européenne. En effet on ne dispose pas pour l’instant pour cet immense pays de 17 millions de Km² (soit 26 fois la France) de bases de données numérisées telles que CORINE Land Cover et CORINE Biotopes dans l’Union Européenne permettant des comparaisons utiles à différentes périodes et de surveiller leur évolution.
Dr J.-C.Ricci. Directeur scientifique de l’IMPCF. Vergèze le 16 septembre 2017.
Remerciements : cette synthèse a reçu le soutien financier du Conseil Régional de Provence Alpes Côte d’Azur en faveur de la Fédération Régionale des Chasseurs de PACA.